C’était une après-midi anodine pour Mizuki. Anodine ou plutôt maussade, puisqu’elle n’avait pas encore eu l’occasion d’aller voir Eiichi de toute la journée. Sans doute devait-il être occupé par un quelconque motif. La jeune fille souffla devant son cahier, anticipant déjà le fait que les Coréens ne devaient pas y être pour rien. A vrai dire, elle commençait presque à s’y faire : il ne pouvait juste pas les supporter, elle avait bien compris. En y réfléchissant, c’était courant chez les Japonais et vice-versa. Elle ignorait comment ce conflit avait pu prendre place à l’université, qui était basée avant tout sur la bonne entente entre les deux pays. Nul besoin d’être voyant ou extralucide pour deviner que c’était visiblement râpé. La plupart des Japonais et des Coréens ne pensaient qu’au moyen de faire sortir l’autre nationalité du campus, ce qui était la cause de bien des bagarres. C’était à peine si ce n’était pas impossible de pouvoir circuler librement une journée sans tombée sur un japonais et un coréen en train de se taper dessus. Au début, elle leur aurait bien dit d’arrêter de se battre, si son côté timide et renfermé n’avait pas été si fort. A présent, elle préférait passer son chemin tout simplement.

Non, elle ne pensait vraiment pas que c’était normal de se taper dessus sans arrêt. Mais à vrai dire, que pouvait-elle y faire ? Elle était gentille certes mais il n’empêchait qu’elle n’avait vraiment pas une bonne impression de ces Coréens. Elle ne leur cherchait pas d’ennuis mais elle avait remarqué que ces derniers avaient une fâcheuse tendance à venir lui en causer. Sans quoi, probablement n’aurait-elle jamais croisé la route de Kyohei. Après tout, il l’avait aidée à se débarrasser de tout un groupe de Coréens venus l’embêter, alors qu’elle n’avait rien demandé. Et puis, surtout, il y avait ce Yon Ho qui la harcelait presque. Ou carrément même. Elle n’avait jamais su ce qui était passé par la tête à celui-là. Enfin, elle ne comprenait pas pourquoi plutôt. En effet, ce « charmant » jeune homme avait eu la bonne idée d’essayer de faire d’elle une ijime, qu’on pourrait martyriser à sa guise si on s’ennuyait. Heureusement, elle savait résister et contrecarrer les plans du coréen. Seulement, ce dernier ne relâchait pas ses efforts et cela commençait à être réellement éprouvant pour elle. Elle n’avait aucune envie de se le traîner jusqu’à l’obtention de son diplôme. Vraiment elle ne savait pas ce qu’il lui prenait.

C’était pourquoi elle avait pris la ferme décision de parler de ce souci. Et à qui de droit. Eiichi saurait certainement comment régler ce petit problème pour qu’elle soit définitivement débarrassée du méchant coréen ! C’était vrai quoi, elle ne lui avait rien fait et il prenait un malin plaisir à essayer de l’embêter ! Mais elle avait changé, Mizuki n’était plus la petite fille fragile qui se laissait mener par tout le monde comme bon leur semblait. Oh que non. Après les cours, elle décida donc d’aller rejoindre son ami, bien décidée à lui demander de l’aider coûte que coûte. Il ne le lui refuserait pas après tout quand même ? Elle ne pouvait pas l’imaginer, il lui donnerait au moins des conseils pour que le coréen ne recommence pas. Même si en vérité, elle se doutait qu’il n’hésiterait certainement pas à vouloir utiliser ses poings. Peut-être devrait-elle songer à le calmer si jamais cela arrivait. Elle ne voulait pas que cela se règle pas une bagarre, bien qu’il risquât de lui dire que c’était le seul moyen. Elle espérait qu’une autre solution fût possible, sincèrement.

Mizuki se dirigea donc vers le coin de la cour où se trouvait habituellement le garçon. D’après ce qu’il lui avait dit, c’était essentiellement connu pour être le territoire des Japan Kings. Enfin, ce n’était pas délimité à proprement ou interdit aux autres – sauf aux Coréens elle imaginait – mais elle avait cru comprendre qu’ils se retrouvaient essentiellement là. Elle avait donc de bonnes chances de l’y trouver, enfin du moins l’espérait-elle. Sauf qu’arrivée au dit endroit elle ne l’y vit pas. C’était plutôt désert d’ailleurs, pas de groupe de garçons qui aurait pu être la « bande » d’Eiichi. Elle soupira de déception : si elle ne le trouvait pas là, où diable pouvait-il être ? Elle inspecta attentivement le lieu du regard et vit quelqu’un. Peut-être pourrait-il la renseigner ? S’il traînait dans les parages, peut-être même connaissait-il les Japan Kings, ou en était-il un ? Il lui sembla d’ailleurs qu’elle l’avait vu une fois avec Eiichi. C’était donc possible. Resserrant son sac sur son épaule, elle se mit à marcher dans sa direction, ses tresses se secouant à cause de la légère brise.

« Summimasen ! Ne, tu ne saurais pas où je pourrais trouver Ikeda Eiichi par hasard ? »

C’était bien là sa seule chance de le trouver. Sinon, elle était bonne pour fouiller dans toute l’université, sans avoir aucune sûreté du résultat. Pourvu que le garçon soit gentil et daigne bien lui donner l’information. Enfin bon, peut-être valait-il mieux qu’elle expliquât pourquoi le cherchait-elle ? Mizuki ne souhaitait pas être prise pour une fille bizarre ou quoi que ce soit, une fille qui voudrait lui faire du tort par exemple.

« En fait, j’ai besoin de lui parler. Tu pourrais m’aider ? »

Elle espérait que ce fût suffisant, parce qu’elle n’avait pas vraiment envie de lui expliquer cette fameuse raison. A moins de pouvoir lui faire réellement confiance. Il fallait dire qu’elle ne savait pas du tout qui il était. Même s’il lui disait quelque chose, ce devait juste être une impression, pensa-t-elle.

Il n’y avait vraiment pas à dire, ce ne devait pas être son jour de chance. Comme par hasard, c’était lorsqu’elle avait besoin de son meilleur ami, son « héros », que ce dernier était introuvable. A croire que la loi de Murphy existait réellement. Oh, Mizuki ne perdait pas espoir, elle finirait par trouver comment lui en toucher deux mots. Après avoir enduré tant qu’elle pouvait les harcèlements de Yon Ho, elle n’était plus à un jour près. Mais il était sûr qu’elle aurait aimé pouvoir lui en parler sur le champ parce que cette situation commençait sérieusement à la gonfler. Mizuki avait beau être devenu une jeune femme forte et qui savait se défendre, ce n’en était pas moins fatiguant au bout d’un moment, surtout quand il s’acharnait. Si jamais il profitait d’un moment de faiblesse, qui savait ce qui pouvait arriver ? Peut-être ferait-elle une crise, c’était possible. Elle n’avait pas été jusqu’à envisager cela mais elle sentait bien qu’elle ne pourrait pas supporter indéfiniment cette situation. Sinon, elle n’aurait jamais pensé aller voir son protecteur, au risque de l’ennuyer avec ses histoires. C’était vraiment quelque chose de sérieux.

Voilà pourquoi aborder le premier garçon qu’elle avait vu traîner dans les parages ne lui avait pas fait peur. Puisqu’il était là, c’était qu’il devait plutôt bien s’entendre avec les Japan Kings au moins. Il était possible qu’il sache où se trouvait Eiichi et qu’il puisse l’aider à le trouver au pire. Elle espérait d’ailleurs qu’il pourrait la renseigner, elle ne pourrait pas courir pour le chercher partout sinon, elle n’était même pas sûre de pouvoir tenir le temps de faire le tour de l’université, simplement à pieds. Fichue maladie. Si cette dernière n’avait pas existé, pour sûr qu’elle serait déjà en train de galoper dans tous les couloirs pour le chercher comme une folle. Mais dans son cas, c’était fortement déconseillé pour ne pas dire complètement proscrit. Jamais elle ne pourrait s’élancer à toute vitesse pour se rendre à sa recherche, même folle d’inquiétude. C’était impossible pour elle, tout comme faire du sport ou ne serait-ce que faire un petit effort physique. C’était très dangereux et elle n’allait pas se risquer à tester ses limites, ayant déjà fait bien trop de crises à son avis pour cela. Elle deviendrait plus une gêne qu’autre chose.

« Aujourd'hui ce ne sera pas possible, il prétend avoir, je cite, une fracture des intestins. Mais si tu veux je peux prendre le message ? »

Fracture des intestins ? Qu’est-ce que ça voulait dire ?! Elle écarquilla les yeux de surprise. Pourquoi ne lui en avait-il pas parlé ? Pourquoi n’était-elle pas au courant ? Et si c’était grave ? Oui, bon elle avait une fâcheuse tendance à s’inquiéter rapidement quand il s’agissait d’Eiichi, c’était incontestable. Le fait était qu’elle tenait beaucoup à lui et qu’elle redoutait que ce soit vraiment grave. Elle espérait en tout cas qu’il se portait bien malgré tout, même si avec une telle fracture elle n’en était pas vraiment sûre. Enfin bon, elle ne comprenait pas pourquoi il ne l’avait pas tenue au courant. Ils étaient des amis de confiance à présent alors pourquoi vouloir lui cacher quelque chose comme ça ? Elle fit une petite moue : non seulement elle n’allait pas pouvoir lui parler de son problème mais en plus, elle ne savait pas quand il reviendrait. Voilà qui était bien fâcheux. Déçue qu’elle était et pas seulement qu’un peu. Elle haussa les épaules face à la proposition de son vis-à-vis avant de lui répondre.

« Je ne savais pas vraiment… Ah ! Tu ne sais pas où je pourrais trouver les Japan Kings ? »

C’étaient les amis d’Eiichi alors peut-être qu’ils pourraient se charger de lui venir en aide. Il était vraiment qu’en y pensant, elle n’avait jamais su qui étaient ces cinq autres jeunes hommes qui étaient à la tête de l’université avec Eiichi. Enfin, du côté japonais car les Coréens avaient également leurs fameux Korean Kings. Bref, si elle devait s’adresser à quelqu’un pour régler un léger différent avec un coréen, c’était bien à eux qu’elle devait s’adresser, cela ne faisait aucun doute. Qui de mieux placé qu’eux pouvait persuader Yon Ho de la laisser tranquille ? Personne, sans aucun doute. Le fait qu’il se mit à froncer les sourcils l’interpela. Avait-il un problème ? Elle n’eut pas le temps de lui poser la question qu’il reprit la parole.

« Dis-moi, on ne se connaitrait pas ? Je suis persuadé de t'avoir déjà vu quelque part avant ici... Ton visage m'est bien familier, et même tes couettes... Je connais ton nom, Yoshida Mizuki, mais ça ne me dis rien. Yamazaki Shiro, ça te dis quelque chose ? »

Pardon ? De nouveau, elle ne manqua pas d’être surprise par l’annonce du jeune homme. Yamazaki Shiro ? Hormis le fait qu’elle venait de comprendre qu’elle avait en face d’elle un des Japan Kings, non ça ne lui disait pas grand-chose. La boulette. Vraiment, elle devait passer pour une idiote, et pas qu’un peu. Elle ne connaissait même pas les « boss » des Japonais, la honte. Néanmoins, elle essaya de ne pas montrer son désarroi ni à quel point elle se sentait complètement stupide pour réfléchir à la question qu’il lui avait posée. S’étaient-ils déjà vus ? Non, elle en était quasiment sûre, sinon elle l’aurait reconnu et n’aurait pas commis d’erreur à son sujet. Elle ne put s’empêcher toutefois de placer sa main devant sa bouche comme si elle avait la plus grande bêtise du monde, par rapport à sa question précédente. Néanmoins, ce n’était pas pour autant qu’elle se souvenait l’avoir croisé à un moment de sa vie. Il fallait dire que ses amis se comptaient sur les doigts de la main à une époque. Et elle ne pouvait pas songer un instant que l’un des amis d’Eiichi pût être quelqu’un de méchant ou de méprisant. Non, il ne pouvait être que gentil et sympathique après tout ne ?

« Je suis désolée mais je ne pense vraiment pas qu’on se connaisse. Enfin, à part le fait que tu sois un Japan King, non ton nom ne m’avance pas plus. Je n’ai pas beaucoup de personnes sympathiques donc je m’en souviendrais si je te connaissais je pense. »

Ça, c’était indéniable. S’ils avaient été camarades, elle s’en serait rappelée. Son visage lui disait bien quelque chose mais sans plus. Elle ne voyait pas vraiment où elle aurait pu le connaître car même au collège ou au lycée, elle était parfaitement certaine de ne jamais l’avoir vu, même de loin. Ou alors n’y avait-elle pas fait attention. Qui sait, peut-être l’avait-il vue lors des nombreuses fois où ses camarades s’amusaient à l’embêter sans qu’elle ne l’aperçût. Bref, peu importait, ce ne devait pas être quelque chose de capital. Elle avait un Japan King en face d’elle, c’était déjà ça, à défaut de pouvoir se confier à Eiichi. Après tout, il avait bien parlé de prendre un message pour lui non ?

« Enfin, puisque tu es un Japan King, je crois que tu peux m’aider, Eiichi m’a déjà dit que je pouvais vous faire confiance. J’ai un problème avec un coréen enfin… c’est plutôt lui qui doit avoir un problème avec moi, parce qu’il n’arrête pas de me harceler et de venir me chercher des noises. »

Au moins, c’était dit. Elle ne savait pas s’il comptait faire quelque chose mais au moins, elle lui en avait parlé. Au pire, elle n’aurait qu’à attendre le retour d’Eiichi.