Kyohei était couché en haut d'une colline, dans un coin non vraiment fréquenté par les habitants de Tokyo. Allongé sur le ventre, légèrement redressé sur ses coudes, son regard était caché par son appareil photo reflex, visant un coquelicot sous différents angles. Le soleil brillait à merveille, ce qui pouvait faire ressortir la couleur et l'expression de cette fleur. Prenant une bonne dizaine de photos, il éloigna ensuite doucement son appareil de ses yeux, puis regarda ces images en les faisant défiler les unes après les autres sur l'écran. Il n'était pas peu fier de lui. Mais le jeune homme fronça les sourcils, remarquant un petit détail. Plus la photo était récente, plus elle s'assombrissait. Pourtant, son ombre n'avait pas bougé d'un pouce. Soudain, il entendit des bruits étranges résonnant dans le ciel, là-haut. Il leva les yeux. Effectivement, il ne faisait plus très clair. Plus du tout, d'ailleurs. Quelques gouttes tombant de ce ciel devenu si sinistre tombèrent alors dans la chevelure du nippon. Ne réfléchissant pas trois secondes, il prit soin d'éteindre et de ranger son appareil photo dans sa sacoche, puis descendit rapidement de la colline. Sentant que le temps ne s'annoncerait pas très coopératif avec lui, Kyohei précipita de plus en plus le pas jusqu'à sa voiture, puis la fit démarrer une fois entré, posant sa sacoche sur le siège du passager.

La pluie tombait en cordes sur son pare-brise, le jeune homme prit soin de faire très attention sur la route glissante. En regardant par la vitre, il constata qu'il y avait de grandes poussées de vent en voyant les branches d'arbres emportées par son mouvement, ainsi que la pluie qui tombait en diagonale. Quel sale temps. Heureusement qu'il n'y avait pas beaucoup de circulation, sinon son angoisse aurait vite monté d'un rang. Ce temps semblait vraiment inquiétant, jamais il n'avait vu un de tel. Il manqua de perdre le contrôle de son volant en apercevant un éclair illuminant ressortir du ciel sombre, surpris par ce qu'il venait de voir. Il ne manquait plus que cela. Il avait intérêt à rester calme et serein avant de faire un accident de voiture. Tenant fermement le volet de ses deux mains, il poussa un long soupir, se concentrant sur sa route. Entendant un autre éclair derrière lui, son premier réflexe fut d'appuyer son pied sur l'accélérateur, s'éloignant d'ici le plus qu'il ne le pût. Heureusement, il n'y avait pas de voiture juste devant lui. Pris dans son élan, il freina brusquement lorsqu'il aperçut une vieille dame traverser la route avec son chien. Ouf, c'était moins une. Encore un mètre et il faisait deux meurtres d'un coup. Le pire, c'était que cette femme le regardait comme si elle le prenait pour un fou échappé de l'asile. Tss. Il n'y fit pas attention, puis redémarra doucement la voiture, faisant attention à la route.

Au début, il comptait rentrer chez lui. Mais en voyant les éclairs se multiplier de plus en plus, il se disait que c'était bien trop risqué, il lui restait encore plus de vingt kilomètres à rouler. Apercevant l'université Ayes, il se demanda si se réfugier là-bas ne serait pas plus mal. Ce serait déjà moins dangereux, et puis tant pis s'il devait y passer la nuit, au moins, il resterait vivant. Il gara sa voiture sur le parking, coupa le moteur, ouvrit la portière, puis s'empressa de sortir de la voiture et d'entrer dans le grand bâtiment de l'école, courant à toute allure. Il ralentit le pas une fois pénétrant dans les couloirs de l'université, marchant doucement. Il ne savait pas pourquoi, mais il ne se sentait pas rassuré par ici. Les allées étroites ne le réconfortaient pas dans des situations telles que celle-ci, et avait le grand besoin de se trouver dans une pièce. Voyant une porte sous ses yeux, il ne tarda pas à l'ouvrir, même s'il ne savait pas où elle le mènerait. Il n'était jamais trop tard pour connaître un peu plus son école.

Pénétrant dans cette grande salle, il ne tarda pas à reconnaître l'amphithéâtre. Il ne venait pas souvent par ici, juste quelques fois pour prendre des photos discrètement. Il regarda autour de lui dans cette pièce sombre, et était bien décidé à partir à la recherche de interrupteur. Avançant dans la salle, il sentit soudainement quelque chose tomber près de lui. Ne voyant rien, il se dit qu'il devait se faire des illusions, puis poursuivit son chemin. Mais ce fut en ayant faire le tour de la salle qu'il entendit des éclairs, et se rendit compte que toucher à l'électricité était bien trop dangereux. Et puis, ça tombe, il y avait une coupure de courant. Une voix résonna alors à côté, dans les couloirs. Il s'arrêta net. Avait-il rêvé ou bien... il y avait-il quelqu'un dans les parages ? Ou alors devenait-il complètement parano ? Par la suite, une musique retentit dans la pièce, qu'il ne tarda pas à reconnaître. Sa sonnerie de portable. Objet qu'il n'avait pas sur lui, et qui était à des bonnes dizaines de mètres d'où il se trouvait. Il avança lentement vers sa sonnerie, se demandant bien au passage qui pouvait bien l'appeler dans un moment aussi tragique. Bon d'accord, il allait peut-être un peu loin. Lorsqu'un éclair éclaircit la pièce par la fenêtre, il aperçut un jeune homme face à lui. Qui tenait son portable. Reconnaissant ses traits de visage coréens, il fronça les sourcils, contrarié à l'idée que ce type tenant son portable dans sa main.

-Mais d’où tu sors O.O Houaa tu m’as fait peur… C’est le tien ?

Comment ça "D'où tu sors" ? Il se moquait de lui ou quoi ? D'abord, il était là avant lui, donc, c'était plutôt à Kyohei de lui demander d'où il sortait, non ? Et comment il lui faisait peur ? Depuis quand Kyohei était-il terrifiant ? C'était le comble du siècle, ça ! Il savait bien qui faisait craindre les coréens, enfin c'était ce qu'il pensait, mais pas à ce point-là. Enfin bref, ce n'était pas le moment de s'embrouiller avec les autres. Voyant son portable sous les yeux, il le reprit délicatement de sa main, et hocha la tête en répondant à la question du coréen.

-Mh. Merci.

Ses paroles n'étaient certes pas enthousiastes, mais au moins, il avait fait preuve de politesse. Il regarda le nom qui s'affichait pendant l'appel. Et mince, c'était sa soeur. Elle devait sûrement être folle d'inquiétude, surtout avec ce typhon. Mais l'appel s'était arrêté avant qu'il n'eût le temps de décroché. Il s'empressa alors de rappeler, mais il ne tarda pas à se rendre compte qu'il n'avait plus de crédit. Bon, que faire : se taper la papote pour la première fois de sa vie avec un coréen, ou bien se tirer d'ici ? Sachant que s'il sortait de l'université, il serait fichu. Il n'avait plus qu'à prendre la première option... qui ne serait certes pas évidente.

-Tu saurais pas combien de temps va durer ce... cirque ?

Il parlait bien évidemment du typhon. Sa question était certes très peu intelligente, comment ce type pourrait-il savoir ? Enfin, il pouvait toujours espérer.

Incroyable, c'était incroyable. C'était abject. Il y avait actuellement un typhon au Japon -c'était quand même bizarre que c'était toujours ce pays qui se prenait toutes les catastrophes naturelles possibles et imaginables-, et il se retrouvait avec un coréen dans l'amphithéâtre de l'université. Histoire de détendre l'atmosphère, évidemment ! Il ne pouvait pas espérer mieux. Bon, voyons le positif des choses : il ne lui avait toujours pas cherché des embrouilles. Mais pour combien de temps... Non, c'était franchement pas le moment de se battre dans des conditions pareilles, donc il ne pensait pas que ce coréen viendrait l'agresser. Pour l'instant, il semblait plutôt... neutre. Oui, ce serait le terme le plus approprié.

- Aucune idée, mais c’est sérieux. Je viens de dehors à l’instant et… C’est hyper dangereux. Dis, t'es là depuis quand toi ? Ca fait bizarre de voir les lumières éteintes, les couloirs vides et tout... J'ai l'impression de me retrouver dans un endroit hanté, c'est pour dire °° C'est glauque une université comme ça, tu ne trouves pas ?

Évidemment que c'était dangereux, il y avait à peine un typhon dehors, mais sinon on pouvait danser joyeusement dans la campagne au milieu des champs de fleurs ! Pff, non mais franchement... En fait, Kyohei semblait vraiment se prendre la tête tout seul quand il était stressé par ce temps assez... effrayant. Peut-être parce qu'il n'assumait pas sa peur et qu'il préférait la cacher même à lui-même ? Possible, à voir. Un éclair retentit alors, ce qui fit sursauter le coréen et le faire s'asseoir. Kyohei avait été légèrement surpris, comme si sa respiration s'était coupée en un quart de seconde, mais il n'avait pas bougé d'un poil, les bras croisés. Il tourna lentement la tête vers l'autre jeune homme, songeant peut-être à répondre à ses questions.

-Ça fait à peine cinq minutes que je suis ici.

Il avait répondu sur un ton neutre, ne laissant aucune expression dans ses paroles. Même quand les coréens semblaient sympathiques à premier coup d'oeil, il restait méfiant. Il n'était jamais trop tôt pour prendre ses précautions, on ne savait jamais de ce qui nous attendait.

-Je pense que c'est une université comme les autres, n'importe laquelle pourrait être "glauque" dans des conditions pareilles.

Il avait été un peu -beaucoup- vexé aux paroles de ce coréen. Il l'avait pris comme si ce type insultait les universités nippones, or il détestait quand on commençait à sous-estimer son pays natal. Voilà maintenant que son côté susceptible ressortait, il ne manquait plus que ça... Cependant il resta calme et serein, car après tout c'était le mauvais moment choisi pour s'énerver, il devait donc faire preuve d'un minimum d'intelligence. Il dévisagea du regard le coréen... D'ailleurs il ne savait même pas comment il s'appelait. Il tenta d'oublier ce léger détail, même si parler à des gens dont il ignorait leurs noms le perturbait.

-Je crois qu'on est bien partis pour passer la nuit ici.

Sur ses paroles il s'assit à côté de lui, les jambes légèrement écartées afin de bien prendre ses aises, il fallait bien se détendre un moment non ? Et puis à qui bon rester debout en se fatiguant alors qu'il y avait des sièges à disposition ? Posant ses coudes sur les accoudoirs, il tenta d'envoyer des messages avec son téléphone à n'importe quel contact, jusqu'à ce qu'il s'aperçut qu'il n'y avait plus de réseau dans le coin. Super, il ne manquait plus que ça... Il rangea donc son portable dans sa poche de jean, croisa ses doigts entre eux par la suite, puis attendit que ce maudit temps passa, même s'il en avait pour une éternité.